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Patrice Canayer... Partir pour mieux revenir ?

LMSL

mercredi 29 mai 2024 - © Yves Michel

 6 min 56 de lecture

Il s'y est préparé depuis l'été dernier. Après trois décennies passées sur le banc et à l'entraînement du Montpellier HB, ce vendredi soir face à Toulouse, Patrice Canayer va vivre ses ultimes minutes à la tête de l'équipe héraultaise. Les projets foisonnent mais pourra-t-il totalement se couper du handball ? La question reste en suspens. En tout cas, on n'imagine mal la discipline sans celui qui en aura été un de ses plus ardents défenseurs.

Ce vendredi, les verres mais aussi les souvenirs vont s’entrechoquer. Deux monstres sacrés du handball français tirent leur révérence en championnat. Pour qu’elle soit magistrale, Nikola Karabatic s’offre Bercy face à Pays d’Aix. Le multimédaillé tricolore qui mettra un terme à sa longévité sportive à l’issue des Jeux a salué avec déférence, l’initiative des dirigeants du PSG. Il fallait un écrin à la hauteur de l’évènement, pour la der en championnat de Niko.

A un peu plus de 750 km plus au sud, Patrice Canayer connaitra des honneurs équivalents après que son équipe ait clôturé sa saison face à Toulouse. A 63 ans, le technicien pourra ranger ses inséparables bristols où il notait toutes les rotations et enclenchements. Après trois décennies passées à la tête du club héraultais, il a décidé de ne pas prolonger l’aventure. Mais le handball ne va-t-il pas lui manquer ? Entretien avec un passionné rigoureux qui aura marqué l’histoire de la discipline 

30 ans… Est-ce important de laisser une empreinte ? 

Il y a 30 ans, Guy Petitgirard m’a passé le flambeau du MHB et trois décennies plus tard, on a envie de le rendre encore plus valorisé. Surtout lorsqu’on est resté si longtemps, on ne peut pas dire que le temps a manqué. Et donc la transmission est extrêmement importante. Un club doit s’inscrire dans la durée et grandir, et c’est ce qu’on a essayé de faire. Il faut rappeler qu’au début, le Montpellier Handball n’était qu’un club populaire de quartier au sud de la ville.

En repassant sur ces 30 ans, y’a-t-il des choses que tu mènerais différemment ? 

C’est une question qui revient souvent. Quand tu es manager général d’un club et amené à prendre beaucoup de décisions, tu ne peux pas dire qu’en 30 ans, tu n’as pris que des bonnes décisions. Ce serait mentir et évidemment prétentieux. Par contre, au moment où ces décisions ont été prises, elles nous paraissaient sur le moment, les plus opportunes. Donc, à ce titre-là, je ne regrette rien. Après, avec le recul, bien évidemment, tu peux avoir un avis différent. 

Sur cette dernière saison, est-ce qu’il y a une frustration de ne pas avoir atteint les objectifs ? 

Dans cette période qui est pour moi, assez particulière, j’ai du mal à faire le tri entre les émotions de 30 ans passés ici et l’analyse de la saison en cours. Si je m’essaie à l’exercice, je dirai qu’on a fait naître beaucoup de promesses qui ont été, c’est vrai, un peu déçues. On n’a pas réussi à basculer dans le camp de ce qui aurait pu être fantastique, notamment en Ligue des Champions. On peut être frustrés mais à l’arrivée, on est 3ème du championnat, demi-finaliste de la coupe et quart-finaliste de la Ligue des Champions. Et cela dure depuis plusieurs années. 

Est-ce un privilège de pouvoir dire : « je ne continue pas l’aventure avec le MHB » ? 

Déjà, je n’aime pas le mot ‘’privilège’’, je n’en ai jamais eu. Tout simplement, j’ai construit la carrière que j’ai voulu construire. Tout au long, j’ai fait des choix en fonction de la confiance qu’on a voulu me donner. C’est une carrière atypique. Les entraîneurs qui font deux clubs en 35 ans, c’est devenu rare. J’ai connu deux aventures incroyables. Au PSG avec l’arrivée de Canal+ et à Montpellier. J’ai eu maintes propositions pour partir, je suis resté au MHB. 

Les entraîneurs français ne sont pas nombreux à s’exporter, à la différence des Espagnols…

Je dirai simplement que les entraîneurs espagnols ont commencé à s’expatrier quand il y a eu la crise des subprimes dans leur pays. Jusque-là, ils ne bougeaient pas. Concernant les Français, il faut reconnaître que chez nous, les conditions de travail sont fantastiques par rapport à ce qu’on voit ailleurs. On a des clubs qui fonctionnent bien, des conventions collectives très protectrices, un bon niveau de rémunération. Après, peut-être qu’on manque d’audace mais il y a eu des exceptions avec Fred Bougeant ou Emmanuel Mayonnade. Je viens d’apprendre que Yérime Sylla allait prendre en mains l’équipe de Chine (féminine). Un jour, peut-être que la tendance s’inversera. Mais doit-on le souhaiter ? Car cela voudra dire que les conditions économiques en France ont régressé. Et puis, on en a vu passer des bons entraîneurs étrangers chez nous, est-ce qu’ils ont fait vraiment mieux que leurs homologues français ? Pas sûr. 

« Ce n’est pas la fin de ma carrière d'entraîneur… »

Pour recentrer sur ta décision, on a du mal à t’imaginer loin des terrains, prêt à organiser une partie de pêche…

Non, là il y a peu de chances (sourires). Je voulais que l’histoire se clôture bien, j’arrivais au terme d’un contrat et j’avais envie de maîtriser la fin. Après, j’ai d’autres désirs, d’autres passions, et si je ne les exprime pas maintenant, je ne le ferai sans doute, jamais. Ce n’est pas la fin de ma carrière d’entraîneur car je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je sais quelles activités professionnelles et politiques (au sein du Conseil Régional d'Occitanie) je vais développer mais je laisse une 3ème piste ouverte. Peut-être que l’entraînement ne me manquera plus du tout mais qui me dit que dans un an ou six mois, je n’aurai pas envie de replonger là-dedans ? Je n’en sais rien. Je ne quitte pas le MHB pour aller ailleurs. J’ai refusé certaines offres. La seule chose qui m’aurait fait changer d’avis, c’est de diriger une équipe aux J.O. Quelle que soit la nation. J’aurais bien aimé vivre une expérience que je ne connais pas, qui plus est à Paris. 

Justement, coacher l’équipe de France A, c’est l’opportunité jamais saisie… 

Je n’ai jamais construit un plan de carrière avec des étapes. C’est peut-être le conseil que j’aimerais donner aux jeunes entraîneurs. Je suis toujours allé à l’endroit qui me semblait le meilleur pour moi. Je n’ai jamais calqué mes contrats en fonction d’une échéance. Donc je ne regrette rien. Peut-être que si je m’étais occupé de l’équipe de France, je n’aurais jamais été champion d’Europe et vécu la même vie. 

Est-ce trop tard pour l’envisager ? 

L’environnement actuel de France A est très performant. Cela n’a pas toujours été le cas mais aujourd’hui, il y a une certaine stabilité qui est propice à la performance. Sincèrement, je ne vois pas ce que j’amènerais de plus. Guillaume (Gille) fait de l’excellent travail, l’équipe va disputer les Jeux et est sur une très belle trajectoire, tout va très bien pour elle. Ce qui est important c’est d’amener une plus-value.

Tes deux derniers adjoints vont connaître des destins passionnants. Erick Mathé va te succéder au MHB, David Degouy coachera Nîmes. 

La plus grosse satisfaction du manager est d’essayer de faire grandir ses collaborateurs., de faire qu’ils avancent. Aussi bien professionnellement qu’humainement. Et à ce niveau-là, j’ai eu beaucoup de satisfactions. D’avoir pu partager avec Erick et de voir comment il a grandi à Chambéry, est très gratifiant. Quand il est arrivé, il avait déjà fait des choses mais il était assez inexpérimenté par rapport au très haut niveau. Concernant David, c’est un énorme bosseur. Il est déterminé, motivé, comme moi quand j’ai débuté. Il a envie de tout emmagasiner, de profiter de chaque instant pour progresser et quand tu es dans cette démarche-là, tu ne peux qu’avoir une belle carrière. 

De quelle façon vas-tu suivre Montpellier la saison prochaine ? 

Je pense qu’il est important pour les deux, pour moi comme pour le club, de couper le cordon ombilical. Ce club restera toujours dans mon cœur. Je vais m’éloigner mais je serai là. Je vais continuer à le suivre mais je pense que physiquement, il est important de mettre un peu de distance et qu’on s'habitue à fonctionner l’un sans l’autre. Je quitte le MHB sans aigreur et c’est vraiment très agréable. 

Patrice Canayer... Partir pour mieux revenir ?  

LMSL

mercredi 29 mai 2024 - © Yves Michel

 6 min 56 de lecture

Il s'y est préparé depuis l'été dernier. Après trois décennies passées sur le banc et à l'entraînement du Montpellier HB, ce vendredi soir face à Toulouse, Patrice Canayer va vivre ses ultimes minutes à la tête de l'équipe héraultaise. Les projets foisonnent mais pourra-t-il totalement se couper du handball ? La question reste en suspens. En tout cas, on n'imagine mal la discipline sans celui qui en aura été un de ses plus ardents défenseurs.

Ce vendredi, les verres mais aussi les souvenirs vont s’entrechoquer. Deux monstres sacrés du handball français tirent leur révérence en championnat. Pour qu’elle soit magistrale, Nikola Karabatic s’offre Bercy face à Pays d’Aix. Le multimédaillé tricolore qui mettra un terme à sa longévité sportive à l’issue des Jeux a salué avec déférence, l’initiative des dirigeants du PSG. Il fallait un écrin à la hauteur de l’évènement, pour la der en championnat de Niko.

A un peu plus de 750 km plus au sud, Patrice Canayer connaitra des honneurs équivalents après que son équipe ait clôturé sa saison face à Toulouse. A 63 ans, le technicien pourra ranger ses inséparables bristols où il notait toutes les rotations et enclenchements. Après trois décennies passées à la tête du club héraultais, il a décidé de ne pas prolonger l’aventure. Mais le handball ne va-t-il pas lui manquer ? Entretien avec un passionné rigoureux qui aura marqué l’histoire de la discipline 

30 ans… Est-ce important de laisser une empreinte ? 

Il y a 30 ans, Guy Petitgirard m’a passé le flambeau du MHB et trois décennies plus tard, on a envie de le rendre encore plus valorisé. Surtout lorsqu’on est resté si longtemps, on ne peut pas dire que le temps a manqué. Et donc la transmission est extrêmement importante. Un club doit s’inscrire dans la durée et grandir, et c’est ce qu’on a essayé de faire. Il faut rappeler qu’au début, le Montpellier Handball n’était qu’un club populaire de quartier au sud de la ville.

En repassant sur ces 30 ans, y’a-t-il des choses que tu mènerais différemment ? 

C’est une question qui revient souvent. Quand tu es manager général d’un club et amené à prendre beaucoup de décisions, tu ne peux pas dire qu’en 30 ans, tu n’as pris que des bonnes décisions. Ce serait mentir et évidemment prétentieux. Par contre, au moment où ces décisions ont été prises, elles nous paraissaient sur le moment, les plus opportunes. Donc, à ce titre-là, je ne regrette rien. Après, avec le recul, bien évidemment, tu peux avoir un avis différent. 

Sur cette dernière saison, est-ce qu’il y a une frustration de ne pas avoir atteint les objectifs ? 

Dans cette période qui est pour moi, assez particulière, j’ai du mal à faire le tri entre les émotions de 30 ans passés ici et l’analyse de la saison en cours. Si je m’essaie à l’exercice, je dirai qu’on a fait naître beaucoup de promesses qui ont été, c’est vrai, un peu déçues. On n’a pas réussi à basculer dans le camp de ce qui aurait pu être fantastique, notamment en Ligue des Champions. On peut être frustrés mais à l’arrivée, on est 3ème du championnat, demi-finaliste de la coupe et quart-finaliste de la Ligue des Champions. Et cela dure depuis plusieurs années. 

Est-ce un privilège de pouvoir dire : « je ne continue pas l’aventure avec le MHB » ? 

Déjà, je n’aime pas le mot ‘’privilège’’, je n’en ai jamais eu. Tout simplement, j’ai construit la carrière que j’ai voulu construire. Tout au long, j’ai fait des choix en fonction de la confiance qu’on a voulu me donner. C’est une carrière atypique. Les entraîneurs qui font deux clubs en 35 ans, c’est devenu rare. J’ai connu deux aventures incroyables. Au PSG avec l’arrivée de Canal+ et à Montpellier. J’ai eu maintes propositions pour partir, je suis resté au MHB. 

Les entraîneurs français ne sont pas nombreux à s’exporter, à la différence des Espagnols…

Je dirai simplement que les entraîneurs espagnols ont commencé à s’expatrier quand il y a eu la crise des subprimes dans leur pays. Jusque-là, ils ne bougeaient pas. Concernant les Français, il faut reconnaître que chez nous, les conditions de travail sont fantastiques par rapport à ce qu’on voit ailleurs. On a des clubs qui fonctionnent bien, des conventions collectives très protectrices, un bon niveau de rémunération. Après, peut-être qu’on manque d’audace mais il y a eu des exceptions avec Fred Bougeant ou Emmanuel Mayonnade. Je viens d’apprendre que Yérime Sylla allait prendre en mains l’équipe de Chine (féminine). Un jour, peut-être que la tendance s’inversera. Mais doit-on le souhaiter ? Car cela voudra dire que les conditions économiques en France ont régressé. Et puis, on en a vu passer des bons entraîneurs étrangers chez nous, est-ce qu’ils ont fait vraiment mieux que leurs homologues français ? Pas sûr. 

« Ce n’est pas la fin de ma carrière d'entraîneur… »

Pour recentrer sur ta décision, on a du mal à t’imaginer loin des terrains, prêt à organiser une partie de pêche…

Non, là il y a peu de chances (sourires). Je voulais que l’histoire se clôture bien, j’arrivais au terme d’un contrat et j’avais envie de maîtriser la fin. Après, j’ai d’autres désirs, d’autres passions, et si je ne les exprime pas maintenant, je ne le ferai sans doute, jamais. Ce n’est pas la fin de ma carrière d’entraîneur car je ne sais pas de quoi demain sera fait. Je sais quelles activités professionnelles et politiques (au sein du Conseil Régional d'Occitanie) je vais développer mais je laisse une 3ème piste ouverte. Peut-être que l’entraînement ne me manquera plus du tout mais qui me dit que dans un an ou six mois, je n’aurai pas envie de replonger là-dedans ? Je n’en sais rien. Je ne quitte pas le MHB pour aller ailleurs. J’ai refusé certaines offres. La seule chose qui m’aurait fait changer d’avis, c’est de diriger une équipe aux J.O. Quelle que soit la nation. J’aurais bien aimé vivre une expérience que je ne connais pas, qui plus est à Paris. 

Justement, coacher l’équipe de France A, c’est l’opportunité jamais saisie… 

Je n’ai jamais construit un plan de carrière avec des étapes. C’est peut-être le conseil que j’aimerais donner aux jeunes entraîneurs. Je suis toujours allé à l’endroit qui me semblait le meilleur pour moi. Je n’ai jamais calqué mes contrats en fonction d’une échéance. Donc je ne regrette rien. Peut-être que si je m’étais occupé de l’équipe de France, je n’aurais jamais été champion d’Europe et vécu la même vie. 

Est-ce trop tard pour l’envisager ? 

L’environnement actuel de France A est très performant. Cela n’a pas toujours été le cas mais aujourd’hui, il y a une certaine stabilité qui est propice à la performance. Sincèrement, je ne vois pas ce que j’amènerais de plus. Guillaume (Gille) fait de l’excellent travail, l’équipe va disputer les Jeux et est sur une très belle trajectoire, tout va très bien pour elle. Ce qui est important c’est d’amener une plus-value.

Tes deux derniers adjoints vont connaître des destins passionnants. Erick Mathé va te succéder au MHB, David Degouy coachera Nîmes. 

La plus grosse satisfaction du manager est d’essayer de faire grandir ses collaborateurs., de faire qu’ils avancent. Aussi bien professionnellement qu’humainement. Et à ce niveau-là, j’ai eu beaucoup de satisfactions. D’avoir pu partager avec Erick et de voir comment il a grandi à Chambéry, est très gratifiant. Quand il est arrivé, il avait déjà fait des choses mais il était assez inexpérimenté par rapport au très haut niveau. Concernant David, c’est un énorme bosseur. Il est déterminé, motivé, comme moi quand j’ai débuté. Il a envie de tout emmagasiner, de profiter de chaque instant pour progresser et quand tu es dans cette démarche-là, tu ne peux qu’avoir une belle carrière. 

De quelle façon vas-tu suivre Montpellier la saison prochaine ? 

Je pense qu’il est important pour les deux, pour moi comme pour le club, de couper le cordon ombilical. Ce club restera toujours dans mon cœur. Je vais m’éloigner mais je serai là. Je vais continuer à le suivre mais je pense que physiquement, il est important de mettre un peu de distance et qu’on s'habitue à fonctionner l’un sans l’autre. Je quitte le MHB sans aigreur et c’est vraiment très agréable.