Sur les coups de 16h30, les larmes de Laura Flippes et celles de Stine Oftedal n'avaient pas la même signification. L'étreinte des deux gardiennes norvégiennes, celle d'Amandine Leynaud serrant Estelle Nze Minko dans ses bras, non plus. Cette frontière immatérielle séparant le bonheur immodéré des gagnantes de l'amertume infinie des perdantes, c'est l'ordinaire de toute finale. Sauf qu'on n'attribue pas l'or olympique tous les quatre matins. Une fois tous les quatre ans, quand tout va bien... L'équipe de France féminine projetait de mettre celui de Tokyo en conserve, de se glisser quelque part entre Teddy Riner et Cassandre Beaugrand (triathlon) au firmament de ses Jeux. D'imposer un remake de la dernière finale planétaire à ses meilleures ennemies norvégiennes. Hélas, elle a connu une resucée de l'épilogue douloureux du championnat du monde 2021. Même bourreau, même déraillement, même sentiment de gâchis à la lecture du résultat.
Selon le lieu commun stipulant qu'une rencontre de très haut niveau se joue sur des détails, la ruée vers l'or a sans doute basculé du mauvais côté de l'histoire en deux minutes. Celles de la première supériorité numérique française (Jacobsen exclue à la 23ème). L'ensemble d'Olivier Krumbholz tenait alors un petit ascendant, fruit de la connexion haut débit Laura Flippes / Orlane Kanor (11-9). L'arrière gauche, qui avait climatisé la Norvège un soir de décembre 2017, à Hambourg, avait en mains une balle de +3. Le shoot de la future joueuse de Ferencvaros passait quelques centimètres au-dessus de la transversale de Katrine Lunde. Sans que personne ne le sache sur l'instant, ce tir non cadré allait anéantir toutes les bonnes intentions initiales. Tout ce que les Tricolores avaient assez bien réussi pendant le premier tiers de match. Défendre ardemment, telle Pauletta Foppa. Neutraliser au maximum les feux follets Oftedal et Mork. Accélérer les montées de balle afin de couper le repli défensif norvégien. En un mot comme en cent, prendre de court cet adversaire si redoutable, si familier.
Ca, c'était avant la tournée générale de soupe à la grimace. Un mets non désiré, l'exact opposé du muffin du village olympique... Dès lors que les Françaises se sont écartées du projet, se sont remises à vouloir trop bien faire, leur horizon doré s'est brusquement assombri. Il n'en fallait pas plus à Henny Reistad pour démarrer la mobylette qui lui sert de jambes. Quand la meilleure joueuse du monde 2023 court égaliser (11-11, 25ème) et, sans couper son élan ni son effort, se replie aussitôt pour stopper l'engagement rapide de Flippes, c'était déjà mauvais signe. Confirmation juste avant de regagner les entrailles de Pierre-Mauroy, avec le bonjour d'une grande ancienne à l'aile gauche (Camilla Herrem, 37 ans), suivi du tir costal d'Oftedal, redevenue libre de ses mouvements. -2 après une demi-heure (11-13), rien d'irréversible en apparence... Un leurre.
Brattset dans un fauteuil, Lunde dans la légende
Le passage contraint en défense étagée dès le début de la seconde période, le changement de gardienne (Sako pour Glauser), les interceptions des ailières (Toublanc, Granier) ont eu des effets placebo. La mécanique de l'équipe de France était bien grippée, voire covidée façon Noah Lyles en finale du 200 m. Estelle Nze Minko (0/4) était désorientée face au but adverse, le dosage des passes et relances laissait à désirer. Impardonnable face à l'autre sélection de référence du début de siècle. Qui s'est irrésistiblement envolée, dans le sillage de sa pivot Brattset. Six réalisations après la pause, aucun échec, pas grand monde pour lui barrer le chemin du but : c'était littéralement Kari ou le bal de la diablesse (15-21, 44ème)... Partagées de bon cœur avec Reistad et Oftedal, les fourches caudines ont précipité le pays hôte dans l'abîme (17-24, 49ème). Un contre de Lucie Granier et deux penaltys d'Horacek (20-24, 54ème) auraient pu convoquer les souvenirs d'une autre époque, en l'occurrence ceux de la finale du Mondial 2003. Il ne fallait pas y compter non plus. Les maillons forts norvégiens précités ont pillé de plus belle la « boutik » présumée inviolable il y a trois étés (20-28, 59ème). Pressés qu'ils étaient de chavirer de bonheur, d'offrir à leur meneuse de jeu adorée une sortie de scène par la grande porte.
Sans contestation aucune, l'or olympique échoit à la meilleure équipe du tournoi. Pour la troisième fois, après le doublé 2008-2012, dernier du genre. La Norvège devient en outre le pays le plus médaillé aux JO chez les femmes, avec huit breloques. Les deux précédentes, à Rio et à Tokyo, étaient en bronze. Et à 44 printemps, Katrine Lunde (12 arrêts à 39 %) devient la première handballeuse à totaliser trois titres olympiques. Autant que la sainte trinité bleue masculine (Abalo, Guigou, N. Karabatic).
L'équipe de France femmes en est à trois finales, trois podiums consécutifs, pour un seul titre. C'est remarquable, ça n'a que peu d'équivalents en un demi-siècle. Mais même après le passage obligé au QG bleu de La Villette, il faudra un certain temps avant d'évacuer l'échec lillois. Rude conclusion (à 49 % au tir, vingt points de moins que la Norvège) d'une quinzaine où la manière, le fonds de jeu, n'ont pas toujours fidèlement accompagné les sept victoires précédentes. En particulier en quart et en demie. Malgré une quinzaine de contre-exemples, du rugby à VII au volley hommes, qu'il est dur d'être prophète en son pays...
NORVEGE – FRANCE : 29 - 21 (MT: 15-13)
Finale - Samedi 10 août 2024, à Villeneuve-d'Ascq (stade Pierre Mauroy).
Arbitres : Ignacio Garcia & Andreu Martin (Espagne)
Evolution du score : 1-5 (5) 4-4 (10) 6-6 (15) 8-8 (20) 11-12 (25) 15-13 (mi-temps) 17-14(35) 18-14 (40) 21-16 (45) 24-17 (50) 25-20 (55) 29-21 (FIN)
Les 1ères réactions françaises (sur France TV)
Méline Nocandy: "Il y a de la tristesse parce qu'on n'était pas connecté aujourd'hui face à une équipe très forte et on n'a pas réussi à avoir l'étincelle qu'on a eue en demi-finale. C'est une finale perdue mais on a été la chercher pendant tout le tournoi, je suis contecte de ça mais on voulait ramener l'or à la maison. Cela aurait été historique si on avait gagné deux fois de suite. On a essayé de se battre, on a essayé des trucs, on n'a rien lâché. Mais on a raté des passes, des choses qu'on réussit d'habitude. C'est comme ça..."
Estelle Nze-Minko: "On s'est régalé pendant cette compétition même si c'est un peu dur ce soir. Quand tu te prépares pour une finale, tu as toujours l'impression d'être prête, mais bon... c'est vrai on a tenu un moment mais elles ont été fortes, nous avons eu du mal à nous trouver, on a perdu eaucoup de ballons, on a eu du mal à marquer, donc c'est rageant parce qu'on a fait de meilleurs matchs dans ce tournoi, elles nous ont vraiment mis en difficulté. Je suis quand même extrêmement fière de notre parcours, de cette médaille d'argent, on a passé d'agréables moments ici et je pense qu'entre Paris et Lille, plein de gens ont découvert le hand grâce à nous."
Olivier Krumbholz: "Les sentiments sont évidemment partagés, on est très contente d'avoir gagné 7 matches et de faire une médaille d'argent, on est très déçu de ne pas avoir réussi à aller chercher l'or. On a été dominé, on aurait bien aimé les tenir, peut-être perdre à la fin mais elles étaient trop fortes pour nous, trop rapides, trop puissantes." Sur sa carrière et son avenir... "Tout le monde évolue, j'étais très certainement un peu impétueux au départ mais il fallait aussi mettre beaucoup d'énergie pour faire grandir l'équipe de France quand je suis arrivé en 98, on n'était pas brillant dans le contexte international, on a construit tout ça à la force du poignet. Cette reconnaissance fait plaisir, c'est aussi celle des coachs dans le sport de haut niveau... ils sont souvent malmenés car c'est souvent la 1ère cible quand cela ne fonctionne pas et je suis content de partir sur un évènement apaisé même si on en aurait voulu un petit peu plus. Je crois qu'on a fait le job."