Modéliser la heatmap défensive de Léna Grandveau en club, c'est poser un gros point chaud à hauteur du poste 2, côté gauche. Lorsque son équipe n'a pas la possession, la Nantaise s'en tient strictement à son périmètre, sa prérogative : monter licitement la garde. En la matière, « elle a beaucoup progressé » depuis son arrivée en 2022, apprécie Helle Thomsen. « Intelligente, puissante, rapide » pour amorcer les montées de balle : la coach danoise des Neptunes est élogieuse à son endroit.
Concernant l'attaque, en revanche, le dépassement de fonction est autorisé. Voire encouragé. La carte des déplacements effectués à Metz, ce mercredi, dessine en effet un croissant de lune. La numéro 29 peut commencer un enclenchement en position d'arrière gauche, le poursuivre demi-centre en permutant avec Tamara Horacek, et même passer arrière droit droitière, comme en sélection, en fin de mi-temps.
Déboussolée, la stratège native de Côte-d'Or ? Jamais. Où qu'elle soit, ses courses, ses cadrages-débordements créent des différences. Désorientent les pointures qu'elle sème, excluent Bouktit et Grijseels pour deux minutes. Amènent quantité de passes décisives et de buts, respectivement sept et cinq (sur neuf tentatives) lors de l'affiche de la 19ème journée de LBE. Un choc deuxième contre troisième, perdu 33-31 par des Nantaises qui en ont perdu le contrôle en milieu de seconde mi-temps. La faute, entre autres, à de l'indiscipline et quelques impairs. Grandveau a ainsi perdu deux ballons-clés dans les cinq dernières minutes, dont cette passe au pivot pour Horacek interceptée par Jørgensen à la 60ème, alors que les Ligériennes espéraient encore égaliser.
La benjamine du groupe France champion du monde (16 sélections A) sera absoute, tant son champ des possibles est vaste. Loin d'être défriché, croit son premier entraîneur dans l'élite. « Dans quelques années, elle peut faire partie des meilleures joueuses du monde, pense Camille Comte. Elle avance très vite. Il faut la mettre dans des situations qui lui permettent de progresser, et elle progresse d'elle-même. » Exemple pioché totalement au hasard : lui faire jouer l'épilogue d'une finale de championnat du monde, contre les tenantes du titre, devant 14 000 spectateurs et des millions de téléspectateurs. Telle Orlane Kanor six ans plus tôt, face aux mêmes adversaires, c'était elle, la novice à cette altitude, le facteur X venu terrasser la Norvège (31-28) en inscrivant quatre buts à la file. L'apothéose d'une compétition dont elle était déjà la révélation bleue bien avant la finale.
Devant son écran, le 17 décembre au soir, l'ancien tacticien de Bourg-de-Péage ne pouvait que se remémorer leurs deux saisons drômoises communes. « On lui faisait déjà jouer les fins de mi-temps, parce qu'on avait Marta Mangué titulaire. On avait convenu avec Léna de la faire travailler là-dessus. C'est quelqu'un qui présentait déjà un sang froid hors normes. A 18 ans, elle nous pliait des matches à elle seule. »
Trois mois plus tard, personne n'a oublié le moment de grâce d'Herning. Dans le public des Arènes, une fillette venue de Besançon (avec sa mère) portait un maillot de l'équipe de France dédicacé par le talent repéré en N1 à Chevigny. La semaine dernière, un vote collégial (sélectionneurs, experts mandatés, internautes) inédit et orchestré par l'IHF consacrait Léna Grandveau meilleur espoir féminin 2023, faisant d'elle le pendant féminin d'Elias Ellefsen á Skipagøtu, le Féringien de Kiel, lui aussi demi-centre. La récompense des coups d'éclat sur les grandes scènes scandinaves, forcément. Mais aussi celle d'une attitude, d'une maturité. « Elle joue comme si elle était plus âgée », observe Helle Thomsen. Sa gestuelle, ses prises de parole dans le bloc défensif, ses tirs à la hanche ou de près peuvent faire oublier la date de naissance. Le 21 janvier 2003, 21 ans et deux mois.
« Elle veut toujours apprendre. Avec elle, on n'a pas besoin de répéter les consignes », ajoute Camille Comte. Un jour peut-être, c'est même la Bourguignonne qui les délivrera. « Elle a démarré une formation d'entraîneure, révèle son ancien mentor. Ca montre sa passion, sa compréhension du jeu. Avant qu'elle arrive (à Bourg-de-Péage), on faisait déjà du travail vidéo sur ce qu'elle faisait à Chevigny. Elle aime réfléchir au jeu. Au milieu de la deuxième saison (2021-2022), je la consultais pour construire le jeu, alors qu'elle n'avait pas 20 ans. »
Stratège d'aujourd'hui et de demain, Léna Grandveau a mis son projet en stand-by. Ses priorités du moment se devinent aisément. Mûrir avec Nantes, où elle a prolongé de deux saisons. Garder les pieds sur terre face aux honneurs et sollicitations qui affluent. Ouvrir un palmarès en club encore vierge. En ce sens, deux opportunités rapprochées se présentent : une demi-finale de Coupe de France, samedi (18 h) contre Dijon, puis celle de Ligue européenne face aux Norvégiennes de Storhamar, le 11 mai à Graz (Autriche).